samedi 14 avril 2018

Désir de musée


« Musée » : image d’une désaffection
Les musées peuvent être perçus, lointains de soi, comme des propositions à venir constater la présence d’objets reposant là, présentés dans le prétexte d’un quelconque thème censé les réunir. Ce préjugé, désespérant et loin de toute réalité pour le moindre professionnel des musées, n’est-ce pas celui qui touche jusqu’à des responsables politiques, dans la désaffection toujours vivace des musées, où se mêlent fatigue de porter la charge d’objets déchargés de leur puissance et sarcasme sur la possibilité que les musées intéressent un tant soit peu les concitoyens ?
Il s’agit, ici, de ce que signifie musée dans l’espace public, tant pour chacun que comme un sens partagé qui nourrit attentes, comportements, stratégies, humours, intérêts, etc. Sens vis-à-vis duquel aucun acteur ne saurait être neutre ou simple spectateur, en particulier s’il prétend tenir cette position objective et panoptique qui s’avère plutôt être celle des prescripteurs de représentations.

Le désir de musée
La notion au cœur de cette représentation, et peut-être, de nos jours, de toute forme de culture, est le désir. Ce préjugé marque un manque de désir pour les musées. Or le désir suscite l’enthousiasme, la mobilité, l’imagination, la rencontre – en somme, l’implication, en réglant chacune de ses modalités mais sans questionner sa raison d’être.
La question qui peut être posée est celle des formes muséales à même de susciter le désir des publics et des non-encore-publics. Cette question est posée, ici, depuis la représentation postulée suivante : une variété de musées disséminés dans l’espace public, institutions de mise en lien avec des connaissances, des produits et des questionnements.

Les temples du spectacle savant
Ce postulat tant à laisser de côté la forme principale de musée répondant au désir, qui s’est élaborée ces dernières décennies : une œuvre architecturale singulière, sise dans un lieu stratégique du point de vue de l’urbanisme, qui abrite des œuvres d’art mondialement connues, des dispositifs cinétiques innovants, des expériences de rencontre singulières dans le cadre muséal, ou des propos encyclopédiques, voire métanoïaques, sur des sujets d’envergure, les expositions temporaires étant chargées de pallier les éventuelles carences des expositions permanentes.
Ces lieux symboliques de l’identité citadine s’imposent comme des incontournables du divertissement savant à haute densité de capitaux financiers, symboliques et spectaculaires. Cette solution n’est valable que pour quelques cas, et tend à susciter une image normative des musées à laquelle la grande majorité d’entre eux n’est en aucune façon capable d’accéder.

Quelques formes de musées désirables
D'autres approches sont à imaginer, pour connecter le musée au désir. L’objet de ces lignes n’est pas de lister les propositions qui peuvent fonctionner, qui se concentrent principalement dans les programmes d’offre culturelle, la médiation, la ludicité et la scénographie. Essayons plutôt d’imaginer quelques autres modes de relation aux musées, et donc ses images à même de susciter le désir.

Le musée comme espace de pensée
Le musée peut participer de ces lieux, tels les classiques cloîtres et jardins, qui invitent à la déprise et à se rendre disponible à la différence, à l’altérité, à la transformation. Ce sont des espaces conçus pour la pensée, la méditation, la rêverie ; des espaces de respiration et de ressourcement. Cette dimension est déjà là dans les musées, mais peut-être davantage dans les dispositions dans lesquelles se placent les visiteurs, que dans l’espace muséal ou expositionnel à proprement parler.

Le musée comme espace de consultation
Le musée peut s’organiser comme un espace moins à visiter, qu’à consulter. L’usager, mû tant par une recherche que par une forme de lâcher-prise, s’oriente alors dans les items et les méthodes de recherche qui lui sont proposés, pour tracer son propre parcours, qu’il vienne à cet espace avec ses questions, ou qu’elles viennent à lui au gré de ses découvertes et de ses curiosités. Les professionnels veillent à mettre à sa disposition ces items et des moyens de recherche, et peuvent valoriser des éléments précis, en les regroupant au sein d’un thème ou les plaçant en exergue dans l’espace de consultation. C’est, ici, la définition d’une médiathèque. Ce principe de consultation est d’ailleurs présent dans les musées, lorsque, comme souvent, une bibliothèque lui est adjointe. Toutefois, ce sont deux modes de relation bien différents qui sont généralement suscités, entre l’espace d’une délectation guidée et l’espace d’une recherche motivée. Rien n’empêche les musées d’être des espaces où l’usager peut déambuler, regarder des œuvres et des objets, consulter des bases de données, regarder des images et des films, lire des livres, des journaux et des magazines, s’assoir dans des fauteuils et sur des bancs, s’installer à des bureaux, amener son propre ordinateur, écrire, dessiner, écouter des musiques et des bandes sonores, suivre la visite d’un guide, participer à une médiation ou à un atelier, interpeller un médiateur pour toute aide et discussion, boire et manger dans un espace dédié, échanger avec d’autres personnes au sein d’un groupe improvisé, participer aux recherches sur les œuvres, ou même simplement être là, sentir et respirer.

Le musée disséminé, vecteur d’espace public
Le musée peut aussi être autre chose qu’un espace, et se disséminer dans les territoires réels et virtuels de la société par des actions culturelles variées. C’est ce que font les musées, dans leurs murs, lorsqu’ils proposent des concerts ou des stages de danse, et ce qu’ils font dans leurs actions hors-les-murs. Le musée est une force de proposition, de création, d’apprentissage et de partage à l’instar d’un centre culturel. Il est aussi, le lieu public possiblement ambulant, tel un forum transportable, d’espaces de parole, d’écoute et d’expression, de débat. Sa présence discontinue et volontaire continue sur les différents modes de liens internautiques : sites internet, expositions virtuelles, catalogues de consultation, applications mobiles, réseaux sociaux, médias partagés drôles ou sérieux, jeux divers… Il n’est pas besoin, pour tout cela, de lieu, ni même de collections : une identité, sa diffusion et sa reconnaissance, ainsi que des moyens d’action, suffisent.

Le musée autrement
Ce ne sont là que quelques pistes qui ont contre elles d’être très simples et banales. C’est qu’il en faudrait peu pour, nous décalant des cases, revivifier ce lien de confiance avec la population qui marque la nature des musées, ces lieux dans lesquels la politesse et la civilité est le prérequis à toutes les possibilités.
C’est une confiance dans la qualité et la capacité des musées à porter, dans leurs propositions et leur accès, les valeurs de la République, égalité, liberté, fraternité, sans être l’instrument du pouvoir ni d’un groupe particulier, en accueillant la totalité de la société et en laissant à chacun la possibilité de changer.
Il n’est pas utile de rebaptiser les musées pour transformer les modes de relation que nous avons avec eux, bien que l’on puisse que les cités, centres et autres maisons qualifient davantage une institution ouverte, plurielle et dynamique. Mais le terme de musée ne porte-t-il pas davantage en lui cette notion d’ouverture et, admirant les muses et se laissant toucher par elles, une possibilité d’inspiration ?
Il leur faut encore évoluer pour qu’ils soient davantage le lieu de nos compagnonnages  médiatiques, imaginaires, discursifs, artistiques, ce lieu de respiration et d’intelligence, de rencontres et de découvertes, de consultation et de débats et, pour ainsi dire, de nivellement par la différence, à la hauteur de nos sociétés complexes et évoluées du 21e siècle. Plus qu’une institution, qu’un lieu, qu’une marque, qu’un temple, qu’un bien – ce que seul peut-être « musée » peut dire.

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